16 septembre 2020 | Anna Rynda, Sergueï Kozlovski, Anastasiïa Goloubeva, BBC
Dans le contexte actuel de grandes manifestations qui durent depuis un mois et demi déjà au Belarus, des dizaines de fonds de solidarité ont vu le jour. Ils sont destinés entre autres aux blessés des manifestations ou à ceux qui ont perdu leur emploi après avoir affiché leurs opinions politiques. L’argent collecté est alors transféré par des entrepreneurs et des personnes de différents pays. Comment ces fonds fonctionnent-ils dans un contexte où les autorités du Belarus y font activement obstacle ?
Le major de la police bélarussienne, Sergueï Kourotchkine, a déposé une lettre de démission à la fin du mois d’août.
Dix jours plus tôt, son cousin avait disparu à Minsk. Quelques jours plus tard, il s’est avéré qu’il se trouvait dans la maison d’arrêt de la rue Okrestina d’où il est sorti avec des hématomes très étendus et une côte fracturée. La police l’avait arrêté alors que lui et son ami faisaient la queue dans un magasin, explique Sergueï Kourotchkine.
« J’ai été frappé par les circonstances de l’événement. Malgré le fait que je sois moi-même un policier actif, ayant de nombreux contacts et possédant quelques compétences dans la conduite d’opérations et d’enquête, je n’ai pas réussi à retrouver mon frère », se souvient l’ancien policier.
Le 21 août, Sergueï Kourotchkine a enregistré un message vidéo expliquant à ses compatriotes les raisons de son départ de la police. Le lendemain, il a rédigé une lettre de démission et n’est plus jamais revenu au travail.
« Les organes des affaires intérieures sont maintenant en fait un outil entre les mains d’une seule personne », explique Sergueï Kourotchkine dans sa conversation avec la BBC.
Selon Sergueï, il a juste eu la chance de se trouver dans une région « où aucun ordre criminel n’a été donné depuis le 9 août ».
« Cependant, je ne peux pas être sûr qu’un tel ordre ne sera pas donné aujourd’hui ou demain », ajoute-t-il.
Sergueï Kourotchkine a servi dans la police pendant plus de 20 ans, maintenant, selon lui, c’est bien probable qu’il se mette à chercher une occupation « plus pacifique ».
Sergueï Kourotchkine a été licencié 10 jours après avoir déposé sa lettre de démission, avec la mention « pour absentéisme ». Il doit maintenant payer à l’Etat plus de 6.000 roubles bélarussiens (soit plus de 2.300 $.)
Les policiers bélarussiens sont tenus de payer une pénalité à l’État s’ils sont licenciés avant la date prévue dans le contrat. Et les diplômés de l’Académie du ministère de l’intérieur doivent travailler cinq ans dans la police. Dans le cas contraire, ils doivent payer la totalité des frais de formation.
Sergueï a de la famille, des enfants, des crédits. La femme de Sergueï soutient sa décision, mais elle a également dû démissionner.
Après son licenciement, Sergueï Kourotchkine, sur les conseils de ses amis, s’est adressé à plusieurs fonds qui aident ceux qui ont perdu leur emploi en raison de leur opinions politiques. Le premier à répondre à l’appel a été le fonds de solidarité BYSOL qui aide les personnes ayant perdu leur emploi en raison d’un désaccord avec les actions des autorités bélarussiennes. Sergueï a reçu un paiement unique standard de 1.500 euros de la part du fonds de solidarité.
Sergueï doit encore payer la « pénalité » à l’État, mais le Fond de solidarité a rassuré les anciens policiers en assurant qu’ils travaillent actuellement sur des régimes de paiement d’indemnités pour les anciens agents des forces de l’ordre.
Le service russe de la BBC a enquêté sur le fonctionnement au Bélarus du système d’aide aux victimes (des manifestants ou bien ceux qui ont été licencié suite à un désaccord avec la politique de l’État.)
Un « Tsunami » de dons
Par précaution, les personnes ayant reçu une aide ainsi que les fondations elles-mêmes ne souhaitent pas divulguer comment est transférée l’aide financière, craignant que les autorités du Bélarus ne coupent le canal de transfert des dons.
Ces craintes sont bien sûr fondées. L’histoire de l’entrepreneur bélarussien Mikita Mikado en témoigne. Le 13 août, le directeur de la société PandaDoc, Mikita Mikado qui vit à San Francisco, a lancé un appel aux forces de l’ordre bélarussiennes les invitant à « passer du côté du bien » et à demander une aide financière.
Le 2 septembre, des représentants du département d’investigation financière de la commission de contrôle d’État du Belarus se sont rendus au bureau de Minsk de PandaDoc pour y effectuer une perquisition. Quatre chefs d’entreprise de Minsk ont été arrêtés et une procédure pénale a été ouverte à leur encontre. Plus tard, les autorités bélarussiennes ont également bloqué les comptes de PandaDoc dans le pays, ce qui a rendu impossible pour l’entreprise de payer les salaires des 250 employés, de verser des contributions à la caisse de sécurité sociale et de payer les impôts.
À la mi-septembre, Mikita Mikado a été contraint de clore le projet d’aide aux anciens forces de l’ordre. Il a invité tous les intéressés à s’adresser à d’autres projets similaires.
Mikado a également participé à la création du fond BYSOL, mais sans être vraiment son projet principal. BYSOL continue à exister, tout comme de nombreuses autres fondations afin d’aider les victimes bélarussiennes.
Mikado a lui-même donné de l’argent de son capital aux fondations, mais ne souhaite pas révéler le montant de ces dons. A part lui, des milliers d’autres personnes ont fait des dons aux fonds de solidarités. « Ce n’est pas une vague, c’est un tsunami [de dons] », a déclaré M. Mikado lors d’une conversation avec la BBC à la mi-août.
Les représentants d’autres fonds Bélarussiens qui sont toujours en activité, parlent également d’un grande quantité de dons.
Il n’y a jamais eu une telle quantité de dons dans l’histoire du Bélarus indépendant et un tel nombre de personnes prêtes à aider, déclare l’avocat Oleg Voltchek qui s’occupe des Droits de l’Homme depuis 1998, dans une conversation avec la BBC. « C’est un phénomène totalement unique, sans precedent », dit-il.
La fondatrice et directrice de la plateforme « Imena », Ekaterina Siniuk déclare que quelques jours après l’ouverture de la collecte de fonds d’urgence pour les soins médicaux aux victimes des manifestations pacifiques au Bélarus, la somme d’argent collecté est celle qui est habituellement versé pour une année à « Imena » pour divers projets caritatifs.
« La collecte n’a duré que quelques jours, et nous l’avons clôturée. Nous avons collecté plus d’un million de roubles bélarussiens (plus de 320.000 euros) – cette somme est plus que suffisante à ce jour [pour aider les victimes] », affirme Ekaterina Siniuk.
La fondation By_help qui a recueilli des fonds pour payer les amendes et aider les détenus et les victimes pendant les manifestations pacifiques, ainsi que le fonds BYSOL, ont récolté 5 millions de dollars quelques semaines après le jour des élections.
Les Bélarussiens qui ont en quelque sorte souffert lors de cette période d’instabilité politique, peuvent désormais compter sur l’aide de nombreuses initiatives et de fonds de solidarités. Parmi eux, par exemple, il existe des fonds spéciaux pour aider les sportifs, les journalistes ou les membres des commissions électorales qui ont souffert après avoir affiché leurs opinions. Mais aussi des fonds spéciaux pour aider les personnes qui ont subi des traumatismes physiques graves.
Il existe également un centre de contact Probono.by, qui a pris ses fonctions le 14 août, composé des bénévoles prêts à aider des personnes dans le besoin. Ils sont plus de 100 chez Probono.by : environ 60 bénévoles au centre d’appel et 50 autres personnes chargées de « coordonner les processus d’aide sur place ».
Probono.by dispose également de ses propres avocats et psychologues bénévoles que peuvent consulter les personnes dans le besoin.
En moyenne, la ligne d’assistance est contactée par 100 personnes par jour, tandis que le week-end, leur nombre augmente considérablement en raison de nouvelles arrestations lors des manifestations, explique la coordinatrice de Probono.by Yana Gontcharova. Elle assure qu’il s’agit d’une initiative absolument basée sur le volontariat.
« Il est important que les gens sentent le soutien des autres Bélarussiens, qu’ils comprennent qu’en cas la société elle-même peut les aider, qu’il n’y a pas que l’Etat qui peut distribuer des aides financières », déclare Andreï Strizhak, coordinateur du Fond de solidarité BYSOL, militant des Droits de l’Homme et volontaire chez Probono.by.
Comment obtenir de l’aide ?
« Avant, c’était impossible pour nous au Bélarus de demander de l’aide, on avait l’impression d’être seul au monde. Mais en réalité, il s’est avéré que nous étions très nombreux, et qu’il y avait juste un nombre incroyable de sympathisants », dit le journaliste Piotr (le nom a été changé à sa demande, il craint de nouveaux problèmes au travail).
Piotr fait parti de ceux qui ont reçu de l’aide des fondations caritatives. Il y a quelques semaines, en une seule journée, il a tout perdu dont son emploi à cause de ses opinions politiques.
Après son licenciement, Piotr s’est adressé à plusieurs projets dont BYSOL. « J’ai rempli un formulaire sur le site web, j’ai enregistré une vidéo sur ma situation, et les bénévoles m’ont très vite apporté leur aide après avoir clarifié mon identité et vérifié mes documents », explique Piotr.
Il précise que plusieurs initiatives ont répondu à son appel, essayant de fournir toute l’aide possible.
« J’ai été énormément touché, ce n’est d’ailleurs même pas une question d’argent. Dès le lendemain de mon appel, j’ai réalisé que je n’étais pas seul, que les gens aidaient, donnaient de l’argent et offraient du travail sans rien demander en échange », explique Piotr.
BYSOL a versé à Piotr un montant équivalent à trois mois de salaire (la norme : 1.500 euros.) Le fonds verse généralement trois salaires mensuels moyens. « Nous avons plafonné le salaire mensuel moyen à 500 €, ce que Loukachenko avait promis mais que les gens n’ont jamais reçu », explique Andreï Strizhak, coordinateur du fond à la BBC .
En outre, Piotr a reçu une aide pour trouver un emploi et, si nécessaire, pour refaire une formation.
« Si quelqu’un souhaite devenir programmeur, cela prend environ trois mois, et l’argent versé couvre alors ces trois mois », dit le journaliste. Piotr n’exclut pas de rejoindre le secteur des technologies de l’information dans le contexte actuel d’explosion des médias bélarussiens.
« On n’a pas vraiment le choix. S’il faut aller dans l’informatique, on ira dans l’informatique. S’il faut balayer les chantiers, on ira bilayer », déclare Piotr.
Pour obtenir de l’aide, Piotr n’a eu qu’à fournir les documents relatifs au licenciement, les bulletins de paye pour déterminer la durée de son travail dans l’entreprise, et il a également dû raconter son licenciement en détails.
Pour obtenir de l’aide à BYSOL, il faut généralement fournir la preuve du licenciement, les articles des médias rapportant l’événement (s’il y en a), des certificats médicaux ou l’épicrise émanant d’un hôpital si il y a eu traitement médical.
La fondation demande également aux demandeurs d’aide de formuler leur opinion politique et, si possible, d’enregistrer un message vidéo, mais la publication de la vidéo n’est pas une condition obligatoire à l’obtention d’une aide.
Après vérification et approbation de la demande d’aide, le montant standard de 1.500 euros est versé.
Ce même montant de compensation est promise aux personnes qui souhaiteraient quitter leur emploi ou leur service en signe de protestation. En règle générale, il s’agit principalement de policiers ou de fonctionnaires qui doivent encore payer des « pénalités » à l’État pour les avoir licenciés avant l’expiration du contrat.
« Quant aux pénalités exigés par l’Etat à cause de la rupture du contrat, nous allons très probablement aider à les payer. Mais il y a des cas plus complexes, avec des crédits plus conséquents : des personnes qui ont fait des études pour être policier mais qui n’ont pas eu le temps de servir. Ces personnes sont obligées de payer à l’Etat une très grosse somme d’argent pour leurs études puisqu’ils ont été licenciées. Nous pensons qu’il ne faut pas payer ces « dettes » à l’Etat car notre très prochain gouvernement va abolir ces clauses léonines », dit Andreï Strizhak.
BYSOL affecte également des fonds directement aux comités de grève qui les distribuent à leur tour aux travailleurs participant aux grèves.
« Le comité de grève nous informe du nombre de personnes qui participent à la grève, et du montant moyen qu’ils perdent par jour en participant à la grève en comparant le bulletin de paye du mois en cours et celui du mois précédent . Nous versons ce montant à chaque personne concernée pour qu’elle se sente confiant et puisse protester advantage », déclare Andreï Strizhak.
Avant le 8 septembre, 816 personnes avaient déposé une demande auprès de la fondation, 282 demandes ont été approuvées et 52 personnes ont reçu des paiements à cette date. L’aide versée représente un montant de 78.000 euros.
La fondation Protect Belarus de Mikita Mikado a adopté un schéma similaire. Selon les données du 30 août, Protect Belarus avait reçu près de 600 demandes dont 322 ont été traitées, 50 paiements ont été approuvés et 26 personnes ont reçu des versements d’argent.
En plus du soutien financier, BYSOL met également en place un système qui aidera les personnes qui ont perdu leur travail, à obtenir de nouvelles qualifications.
« Nous les mettons en contact avec une entreprise qui est prête à participer au recyclage et à les embaucher », déclare Andreï Strizhak. « Nous avons un système de mentorat individuel, où des représentants de différents milieux d’affaires peuvent prendre sous leur tutelle quelqu’un qui a démissionné ou a été licencié pour des raisons politiques ».
« Il y a eu des milliers de victimes », leur réhabilitation va prendre des années
Les personnes touchées et condamnées à des amendes lors de la dispersion de manifestations pacifiques peuvent s’adresser aux projets By_help et « Imena ».
By_help aide les victimes et les détenus à payer les amendes, les traitements médicamenteux, ainsi que les frais d’internement en prison (les détenus au Bélarus paient pour les jours de détention dans une maison d’arrêt) et couvre les frais de services des avocats.
Pour obtenir l’aide de By_help, la victime ou ses proches doivent remplir un formulaire spécial sur le site web. Les certificats médicaux concernant le traumatisme reçu et toute preuve (photo/vidéo du traumatisme, etc.) qui permettra de le vérifier sont acceptés dans le projet en tant que preuves.
« Nombreux sont les gens qui viennent chercher un certificat médical, nous ne pensions pas en voir autant. Beaucoup de gens apportent des photos et des vidéos », dit Alexeï Leontchik, coordinateur de By_help.
Au 14 septembre, la fondation a versé une aide de 785.948 Br (soit 302.660 dollars.) L’argent a été utilisé pour payer 302 amendes, 148 paiements pour des soins médicaux, 7 règlements pour les honoraires des avocats, 36 paiements pour couvrir les frais de séjour de prison.
By_help a été l’un des premiers à collecter des fonds pour aider les victimes et pour aider à payer les contraventions (souvent pour participation à des manifestations pacifiques.)
Le projet est apparu au printemps 2017, lorsque les militants ont annoncé la collecte de fonds pour les participants réprimés de la « Marche des Non Oisifs », une manifestation pacifique contre l’introduction d’une taxe pour les chômeurs au Bélarus. A l’époque, By_help avait collecté un montant record de 55.000 dollars afin de payer les amendes et d’aider les victimes de cette marche.
« Juste après les élections, nous avons récolté 55.000 dollars en deux heures. Nous disposons à présent d’environ 3 millions d’euros. Mais c’est seulement si on compte Facebook et PayPal. Il y a d’autres collectes de fonds, d’autres plateformes, c’est donc plus de trois millions », explique Alexeï Leontchik, coordinateur de By_help.
Le projet caritatif « Imena » vient en aide aux victimes qui ont besoin de soins médicaux, en leur fournissant un traitement et une réhabilitation sur long terme. Chez « Imena », on souligne que l’aide se fait indépendamment des opinions politiques. Comme le remarque la fondation, parmi ceux qui cherchent de l’aide, nombreux sont ceux qui n’ont même pas participé aux manifestations, mais qui sont simplement « tombés dans les mains des policiers ».
Cela fait déjà cinq ans que « Imena » fonctionne au Bélarus, la plateforme a collecté des fonds pour divers projets caritatifs : pour aider les sans-abri, pour payer la thérapie de personnes atteintes du VIH, pour aider le service de visite de l’Hospice d’enfants bélarussien et bien d’autres.
La collecte de fonds de « Imena » pour les victimes et blessés a commencé immédiatement après les arrestations massives et la dispersion des protestations pacifiques des premiers jours. En quelques jours seulement, le projet a pu récolter plus d’un million de roubles bélarussiens [soit 328.847,42 EUR – NDT.] Ce montant a été jugé suffisant par « Imena » et la collecte a été fermée. Il s’est avéré que de nombreux centres médicaux étaient prêts à accueillir gratuitement les victimes.
« Pour le moment, nous n’avons pas eu besoin de dépenser l’argent qui nous étaient parvenu. Il est très probable qu’il sera dépensé plus tard pour une réhabilitation à plus long terme », dit Ekaterina Siniuk.
Chez « Imena », ils ont décidé d’accorder une attention particulière à ceux qui ont besoin d’une réhabilitation et d’un traitement à long terme.
« Il y a de nombreuses victimes, des milliers. C’est une tragédie qui a touché les gens dans tout le Bélarus. Et je ne sais même pas combien de temps il faudra pour recenser toutes les victimes. Jusqu’à présent, nous n’en avons qu’une partie et nous comprenons que ce n’est pas fini », déclare Ekaterina Siniuk.
Pour obtenir de l’aide, il faut remplir un formulaire spécial et y joindre les documents disponibles.
Chaque victime qui a demandé de l’aide au centre a un coordinateur qui la « guide » à travers toutes les étapes du traitement du dossier et l’aide à s’orienter, à trouver des médicaments ou à prendre rendez-vous avec un spécialiste.
Début septembre, « Imena » a continué à recevoir des demandes de personnes blessées lors de la dispersion des manifestations pacifiques du 9 au 12 août.
« Beaucoup restent encore dans les hôpitaux, et la demande est faite par un parent ou une connaissance. Aujourd’hui, la plupart des gens en sont au stade de la prise en charge médicale, mais il y aura une réhabilitation qui prendra probablement des mois, voire des années », explique Ekaterina Siniuk.
Difficultés de traduction
Les bénéficiaires et les fonds eux-mêmes ne divulguent pas les modalités spécifiques de transfert de l’argent et ne disent généralement pas si l’argent va sur des comptes bancaires ou s’il est transféré en espèces.
La raison en est que les autorités bélarussiennes considèrent comme illégales les activités de fonds, non enregistrés dans le pays, fournissant une assistance aux victimes.
Le 9 septembre, le ministère de la Justice du Bélarus a déclaré que les activités de collecte de fonds en faveur des victimes, condamnées à des amendes et licenciées, « sont en dehors du cadre juridique » car selon la législation actuelle au Bélarus, ces fonds doivent obligatoirement être enregistrés auprès de l’État.
En outre, le ministère de la Justice du Bélarus affirme que « le manque de transparence et de mécanismes de contrôle peut contribuer à l’enrichissement illégal de personnes directement liées à la collecte et à la distribution de ces fonds ».
Mikita Mikado a raconté à la BBC qu’il était « incroyablement difficile » d’envoyer de l’aide financière aux gens du Bélarus. « Depuis 26 ans, le régime a mis en place un système qui ne laisse pas passer l’aide financière venue de l’étranger. Et l’aide financière collectée dans le pays devient une affaire pénale. Alors il faut être très inventif. C’est un problème très grave qui doit être résolu », dit Mikado.
La plupart de ceux qui ont reçu de l’aide préfèrent ne pas en parler. Souvent, une personne est simplement gênée d’avoir tout simplement reçu de l’aide tandis que ses camarades n’en ont pas encore reçu. En outre, il faudra aussi payer un impôt sur cette aide (si elle dépasse 7.003 Br, soit environ 2.300 € au taux croissant actuel) en enregistrant un don au bureau des impôts.
Les travailleurs qui ont reçu 1.500 euros chacun, devront également avoir affaire aux autorités fiscales, par exemple, s’il y a eu des dons ou des transferts ajoutés à ce montant.
Le grand problème est d’obtenir de l’aide de l’étranger. Au Bélarus, cela est régie par un décret présidentiel portant sur « l’aide sans compensation étrangère » et doit arriver dans le pays par le biais du département de l’assistance humanitaire de l’administration du président, qui est considéré comme le seul habilité à la distribuer.
Mais le ministère lui-même peut redistribuer le montant de l’aide ainsi que les bénéficiaires, ou même informer le bénéficiaire qu’il considère ce don comme inapproprié.
Nouvelle classe moyenne et société civile
L’aide financière des fonds créés arrive assez rapidement à ses destinataires, déclare M. Voltchek. Les victimes Bélarussiennes sont soutenues grâce à des dispositifs développés par des spécialistes des technologies de l’information, précise-t-il. Les détails de ces dispositifs ne sont pas divulgués.
Plus tôt, l’un des fondateurs de BYSOL, Iaroslav Likhatchevski, a annoncé à l’édition ForkLog que la crypto-monnaie pourrait jouer un rôle important dans la protestation. « Les autorités coupent activement les revenus des comptes étrangers, effectuant des perquisitions à la frontière pour empêcher l’importation de devises. Nous avons donc décidé d’utiliser Bitcoin comme moyen de transport », déclare I. Likhatchevski.
De nombreuses fondations collectent en effet de l’argent en crypto-monnaie, par exemple « Heroes of Belarus » n’accepte que les dons en monnaie cryptographique, mais ce n’est pas très clair comment celle ci est redistribuée ensuite.
Andreï Strizhak répond maintenant, en étant le plus général possible, à la question sur les mécanismes de transfert de fonds.
« Le mécanisme de transfert de ces fonds est assez compliqué. Le gouvernement bélarussien fait tout son possible pour couper tous les flux financiers. Mais nos capacités sont légèrement supérieures aux leurs, car nous avons la créativité et la capacité de rechercher des approches non standard », explique Andreï Strzhak, attirant l’attention sur l’union des informaticiens pour ces services de fons de solidarité.
Selon Andreï Strzhak, le succès de BYSOL et d’autres fonds s’explique par la combinaison des « forces du secteur civil et des technologies de l’information ».
En fait, les représentants des Technologies de l’Information (TI) constituent la véritable classe moyenne au Bélarus qui grandit d’année en année. La part des technologies de l’information dans le PIB du Bélarus est de 6,5 %, tandis que les hautes technologies fournissent environ 50 % de la croissance du PIB du pays. Le salaire moyen d’un spécialiste en informatique est au moins deux fois plus élevé que la moyenne nationale, soit l’équivalent de 500 euros. Plus de 60.000 employés d’entreprises de haute technologie vivent à Minsk. Depuis de nombreuses années, ils sont les principaux donateurs de diverses initiatives caritatives au Bélarus.
Aujourd’hui, ils soutiennent activement les fondations caritatives, et pas uniquement par des moyens financiers.
« Les travailleurs du domaine des technologies de l’information, qui étaient nos donateurs dans différentes entreprises pour différents projets, transfèrent de l’argent, font des dons réguliers, et s’intéressent maintenant à ouvrir leur propre ONG. C’est-à-dire qu’ils ont compris que actuellement le plus important c’est d’aider non seulement avec de l’argent mais aussi en créant de nombreuses fondations et de nombreuses initiatives qui ne sont pas encore disponibles et qu’il faut construire de A à Z. C’est un très bon signe que les gens se sentent plus responsables les uns envers les autres », annonce Ekaterina Siniuk.
Et pas seulement la diaspora bélarussienne
Alexandre Loukachenko a déclaré à plusieurs reprises que les manifestations au Bélarus étaient financées et guidées depuis l’étranger. Mikita Mikado répond que au contraire les manifestations sont financées par le peuple bélarussien : ce sont les gens, et non les gouvernements étrangers, qui donnent de l’argent aux fonds.
« Il n’y a pas un seul oligarque qui ait appuyé 10.000 fois sur le bouton 10 $ sur Facebook. Il s’agit d’un fond populaire. Tout le monde fait un don de 5 à 10 dollars parce qu’il sait que personne d’autre ne l’aidera », ajoute l’entrepreneur.
« Le profil des donateurs est très vaste. Tout d’abord, il convient de noter que, du fait que le collecteur de fonds « Facebook » accepte les transferts à partir des cartes de crédits de presque toutes les banques du monde, il est possible d’accepter de l’argent même à partir des cartes bancaires bélarussiennes. Je dis « même », car les autorités bélarussiennes font tout pour couper ces flux d’aide », dit Andreï Strizhak.
« Il y avait des étrangers [parmi les donateurs], mais pas plus de 10 % d’entre eux », explique le coordinateur de By_help Alexeï Leontchik.
Selon Andreï Strizhak, le montant des dons provenant de Russie est à peu près le même que celui provenant d’Europe occidentale et des États-Unis.
Andreï Strizhak en est sûr, le fait que Alexeï Navalny peu de temps avant son empoisonnement par des politiciens, ait soutenu à la fois les deux collectes, By_help et BYSOL, cela a joué un rôle sur les dons venus de Russie.
Du 9 au 12 août, les dons collectés par le fond de solidarité ont été principalement transférés de « l’étranger », et plus précisément par la diaspora bélarussienne à l’étranger, précise Alexeï Leontchik.
« Toute la diaspora bélarussienne du monde est maintenant unie et travaille ensemble pour changer ce pouvoir. Selon nos calculs, environ un million de personnes ont quitté le pays depuis l’indépendance, et ces personnes sont douées, actives et déjà riches. Ces personnes sont maintenant très activement impliquées dans l’aide », déclare Andreï Strizhak.
Alexeï Leontchik dit que maintenant il ne voit plus beaucoup de différence entre les dons de la diaspora et les dons du Bélarus – tant en termes de nombre de donateurs que de montants transférés.
Le coordinateur By_help affirme qu’en général, l’organisation de l’aide au Bélarus est maintenant presque égale à celle des autres pays ayant une société civile développée et donne en exemple le personnel de l’organisation de salon automobile au Bélarus qui a décidé de réparer gratuitement les voitures des victimes des manifestations pacifiques.
« Jusqu’en 2020, on avait l’impression qu’il n’y avait que la diaspora susceptible de nous aider. Mais le 9 août, tous ont soudain réalisé qu’il y avait une société civile au Bélarus. Il y a eu une incroyable auto-organisation. J’ai reçu environ 800 demandes de volontariat pour By_help », dit Alexeï Leontchik. « C’est possible que depuis cinq ans, une société civile se soit discrètement formée au Bélarus, à la manière des partisans ».