« Ils ont attaqué ma voiture, ils m’ont torturé et fait figurer mon nom dans un acte criminel »
19 août 2020, 14:59 | Igor Iliash, BELSAT
Dimitri Khodorovich, 20 ans, a été torturé au Centre d’Isolement rue Akrestsina et au commissariat de police, où il a été forcé de se parjurer et d’avouer avoir heurté les policiers anti-émeute. Après cela, il a été hospitalisé avec de nombreuses blessures et a appris plus tard qu’une procédure pénale avait été ouverte contre lui en vertu de l’article 363 du Code pénal du Bélarus (violence ou menace de violence contre les forces de l’ordre). Maintenant, Dimitri recherche des témoins de l’attaque contre lui par la police anti-émeute sur l’Avenue Pobeditelei pour prouver son innocence.
Le soir du 11 août, Dimitri, avec sa petite amie Lia, conduisait sa voiture le long de l’avenue Pobeditelei vers la Stèle. Il a klaxonné à plusieurs reprises en solidarité avec les manifestants.
« Nous avons été arrêtés par un policier routier, la voiture a été bloquée. J’ai vu plusieurs agents de la police routière et 3-4 policiers anti-émeute courir vers nous. Ils ont cogné dans la vitre, ils nous ont crié de descendre de la voiture. Je leur ai demandé de se présenter et d’expliquer la raison de l’arrêt, mais ils ont ignoré mes demandes et ont commencé à défoncer les vitres de la voiture. Une arme à feu a été braquée sur moi. J’étais choqué et dans un tel état d’émotion que j’ai décidé de fuir. Pendant la poursuite , 2-3 coups de feu ont été tirés, l’un a touché ma clavicule gauche et les autres la voiture », dit-il.
La voiture de Dimitri étant bloquée, alors qu’il tentait de fuir, il a légèrement abimé la voiture de la police de la circulation.
« Ils m’ont poursuivi jusqu’au centre commercial Zamok, où la route était bloquée. A ce moment-là, une voiture de la police de circulation m’a dépassé. Le policier routier a sorti son arme de service et m’a crié: « arrêtez-vous ou je vais tirer. » Je me suis arrêté, j’ai levé les mains et ils nous ont arrêtés », dit-il.
« J’aurais dû dire que j’avais heurté deux policiers anti-émeute »
Tout d’abord, Dimitri et Lia ont été conduits dans un minibus. Dimitri a été jeté par terre et a reçu un coup de pied devant sa petite amie. Environ 10 minutes plus tard, le minibus s’est arrêté: on a fait descendre Lia. « J’ai réalisé qu’ils allaient à partir de maintenant mener un travail éducatif spécial avec moi. Ils m’ont battu comme de la viande pendant dix minutes. C’est probablement à cet instant que j’ai fait une commotion cérébrale. » Après cela, la police anti-émeute a fait remonter la femme dans le minibus et nous sommes allés au commissariat de police du district Frunzensky. Là, ils nous ont fait descendre du minibus et nous ont allongés face contre terre. »
Les policiers ont lié les mains de Dimitri avec des liens en plastique. Ils les ont serrés si fort qu’il ne sentait plus ses mains. « Ils ont probablement vu que mes mains étaient déjà devenues noires et ont coupé les liens avec un couteau mais ils les ont coupées d’une manière qui m’a blessé les veines. J’étais déjà silencieux: qu’ils coupent, l’essentiel c’était de retirer ces liens. Et après cela, ils m’ont passé les menottes habituelles. »
Dimitri et Lia ont été emmenés dans le bâtiment du commissariat de police du district Frunzensky. Les policiers ont mis Dimitri et Lia dans une position particulière: le poid repose sur la tête et les genoux, qui glissent progressivement. « Je pèse environ 100 kilos, je suis assez costaud et c’était très difficile pour moi de me tenir comme ça. Et que puis-je dire à propos de ma petite amie, qui fait la moitié de ma taille … Alors après ça, un grand policier anti-émeute s’est assis sur elle et est resté là pendant environ cinq minutes », se souvient-il.
Dimitri a été emmené dans une pièce séparée, où ils ont commencé à le forcer à avouer. « J’ai dû dire que j’avais heurté deux policiers anti-émeute avec ma voiture. J’ai tenu 30 minutes, chacun à ses limites. En fin de compte, j’ai dit évasivement que peut-être quand j’avais tenté de fuir, j’avais eu l’intention de leur rouler dessus … j’ai juste dit ça pour qu’ils me laissent en vie », se souvient-il. Après cela, Dimitri a été emmené dans une autre pièce où était assis un homme en cagoule: maintenant, ce témoignage devait être répété devant la caméra. Mais là, Dimitri s’est mis a dire la verité et a refusé d’admettre qu’il avait heurté les policiers anti-émeute. L’homme à la cagoule, à son tour, a éteint la caméra et appelé 3 ou 4 policiers. Dimitri a de nouveau été battu.
« Ensuite, je me souviens à peine de ce qui s’est passé … J’ai perdu connaissance. Quand je suis revenu à moi, j’ai réalisé qu’ils me transportaient dans une sorte de voiture. Ils m’ont emmené au commissariat de police du district Central, dans une pièce au troisième étage et m’ont jeté par terre. Deux agents de la police routière qui étaient présents au moment de l’arrestation sont entrés. Ils ont témoigné contre moi à l’enquêteur. Ils ont dit que je voulais heurter les agents de la police routière. »
« Autrement dit, il y a une heure, la police anti-émeute m’a battue à cause du témoignage selon lequel j’ai renversé des policiers anti-émeute, et maintenant la police de la circulation affirme que c’est moi qui voulais les heurter. »
Dimitri a été laissé seul avec l’enquêteur qui l’interrogeait. L’enquêteur ne l’a pas forcé à se discréditer. Dimitri a eu de l’eau à boire et ses menottes ont été changées pour des menottes moins serrées. L’enquêteur a promis à Dimitri qu’il serait simplement transferé dans une cellule. Mais il a menti.
« Tu signes n’importe quoi simplement pour ne plus être battu »
Lia a en effet été placée dans une cellule et Dimitri, lui, a été emmené dans la cour. Il y avait une centaine de personnes allongées sur le sol. Avec le reste des détenus, il est resté au sol dans cette cour jusqu’au petit matin.
« Ces sept heures ont été difficiles. Naturellement, ils ne se sont pas contentés de nous laisser là. Ils m’ont frappé à l’aine, au dos et étranglé. Ils ont fait ce qu’ils voulaient. Même un adolescent de 14 ans a été battu. Puis ils nous fait se lever et nous ont ordonné de rester contre le mur pendant encore cinq heures. Ils ont versé de l’eau froide sur moi et m’ont battu. J’aurais voulu demander: laissez-moi m’accroupir (il faisait très, très froid) et laissez-moi aller aux toilettes. J’avais constamment des nausées à cause de la commotion cérébrale.
Les détenus ont commencé à être convoqués un par un pour signer les procès verbaux Les gens n’avaient même pas le droit de les lire. Ils étaient battus s’ils refusaient de les signer. »
« Si vous refusez, ils vous battent d’une telle manière que vous signerez tout ce qu’ils veulent – juste pour ne plus être battu. En réalisant cela, j’ai immédiatement signé le procès-verbal. J’ai essayé de lire quelque chose – mais j’ai reçu un coup dans le visage pour cela. »
Après, ils ont commencé à former des groupes de détenus afin de les transférer aux centres d’isolement. Lorsque le nom du détenu était dit, il fallait courir rapidement vers le fourgon de police. Alors qu’une homme courait vers le fourgon, les policiers anti-émeute le battaient et essayaient de le faire trébucher. Dans le fourgon, Dimitri a été enfermé dans une petite cellule appelée le « verre ». C’est une petite cellule de la taille de toilettes d’avion. En tout, il y avait 6 personnes, dont une personne âgée.
« Nous avons fait asseoir cet homme âgé, et nous, nous sommes restés sérrés les uns à côté des autres et nous avons dormi debout (je n’avais jamais dormi debout auparavant). J’ai ouvert les yeux deux heures plus tard. J’ai essayé de respirer, mais je ne pouvais pas. J’ai réalisé que nous n’avions pratiquement plus d’oxygène. Le vieillard était vivant, mais il se sentait mal. Nous avons crié pour qu’ils fassent quelque chose afin de faire rentrer de l’oxygène. Environ 30 minutes plus tard, ils ont allumé la ventilation. Je ne sais pas comment nous avons survécu sans air … Et seulement une heure plus tard, la voiture a finalement démarré. Autrement dit, pendant tout ce temps, nous étions rester sur place. Nous avions simplement été enfermé dans un fourgon pendant 4 heures et finalement repartis.
Au total, il y avait environ 50 personnes dans le fourgon. Nous avons été amenées à Zhodino. A un moment, les policiers sont descendus, un seul policier est resté dans le fourgon. Les détenus l’ont supplié d’ouvrir la porte et de leur donner de l’eau.
Il a donné un litre d’eau pour 50 personnes – chacun a eu le contenu d’un bouchon à boire et c’est tout. »
« Ils ne m’ont pas battu au centre d’isolement rue Akrestsina, ils nous ont torturés psychologiquement là-bas »
A Zhodino, comme Dimitri l’a compris, il n’y avait plus de place pour les détenus. Ils ont été renvoyés à Minsk, et emmenés au centre d’isolement rue Akrestsina. Du fourgon à la cellule, les hommes ont couru dans la posture de l’hirondelle (les bras liés sont levé derrière le dos et la tête baissée vers le sol, d’où l’analogie avec l’hirondelle).
« Vous ne pouvez pas lever la tête, vous ne pouvez pas les regarder sinon c’est immédiatement une condamnation à mort. Devant nous, il y avait deux rangées de policiers anti-émeute avec des matraques, masqués, le regard fou. Vous deviez parcourir ces rangées jusqu’à votre cellule. L’homme âgée, qui était avec moi dans le fourgon, courait devant moi, il avait environ 70 ans. J’ai essayé de le couvrir de mon corps afin de lui éviter les coups. »
A Akrestsina, Dimitri et d’autres détenus ont été placés dans une petite cellule avec une grille en guise de plafond. Plus de 50 personnes ont été jetées dans cette cellule de 2 mètres sur 3.
Les gens souffraient de la soif et de déshydratation, certains détenus ont littéralement commencé à devenir fous, se souvient Dimitri.
« Ils se sont approchés de nous, ont ouvert une petite ouverture dans la porte et ont demandé: combien êtes-vous? On a compté, 56. « Ouais, – disent-ils, – ça veut dire 56 rations et tant de litres d’eau pour tout le monde ait assez à boire … » Quand on a entendu ça, on s’est senti soulagé: enfin, on va pouvoir boire et manger après toute cette horreur. Mais en vain. Quelle était la différence entre Akrestsinaet le département de police? Ils ne m’ont pas battu, mais à Akrestsina, ils nous ont torturés psychologiquement tout le temps. Ici, il vous disent qu’ils vont donner de l’eau et de la nourriture, qu’ils vont en distribuer à tout le monde dans les cellules. Mais une heure, une autre heure et demie passe, et vous vous rendez compte qu’en fait, ils ne nous donneront rien. Ensuite, ils promettent encore et encore mais ne donnent rien. »
Il y avait 56 personnes dans la cellule en plein air. Il n’y avait aucun moyen de s’allonger normalement. Les détenus se sont installés comme des sapins de Noël: ils écartaient les jambes pour qu’il y ait plus d’espace, et chacun se couchaient la tête aux pieds d’un voisin. Les gens sont restés dans cette position jusqu’à environ 15 h 30 le 13 août.
« Un groupe de 20 personnes a été emmené à l’étage supérieur, on leur a demandé de signer une sorte de procès-verbal. Je n’ai même pas essayé de lire ce que je signais – à ce moment, vous ne pensez qu’à sortir, vous signerez n’importe quoi. »
Avant d’être libérés du centre d’isolement rue Akrestsina, les détenus ont de nouveau été battus. Dans la cour, Dimitri a vu beaucoup de cheveux de femmes arrachés …
Le casier criminel
Après avoir reçu tous ces coups, Dimitri a été hospitalisé pour de nombreuses blessures: un traumatisme cranio-cérébral fermé, une commotion cérébrale, une fracture de l’os métacarpien, de multiples hématomes et blessures. Déjà à l’hôpital, il a appris qu’un dossier pénal avait été ouvert contre lui en vertu de la partie 2 de l’article 363 du Code pénal (violence ou menace de violence contre les employés des forces de l’ordre).
Le décret du commissariat, du district Central de Minsk stipule que Dimitri a eu une altercation avec Bobrovich et Piskarev, employés de l’UGAI GUVD (police routière, NdT) du Comité exécutif de la ville de Minsk. En fait, il est accusé d’avoir endommagé une voiture de la police routière alors qu’il fuyait une attaque de la police anti-émeute, créant ainsi une menace de blessures corporelles sur les policiers. Selon cet article, Dimitri risque jusqu’à 5 ans de prison. Sa petite amie, Lia est un témoin dans l’affaire. L’affaire est dirigée par le juge Glushchenko.