15e journée de protestations

Cent mille manifestants sur la Place de l’Indépendance et Loukachenko accompagné de son fils cadet, en gilet pare-balles, un fusil automatique à la main

24 août 2020, 00:07 | TUT.BY
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Durant la première moitié de la journée du 23 août, il semblait que l’esprit de contestation avait commencé à faiblir et qu’il n’y aurait pas de rassemblement aussi massif qu’une semaine plus tôt. Mais la 15e journée de protestation a surpris.

Source: Dmitry Brushko, TUT.BY

● Premièrement, une foule immense, portant des drapeaux blanc-rouge-blanc, s’est rassemblée sur la Place de l’Indépendance à Minsk malgré les rues et les accès bloqués, et a réussi, presque sans perdre en nombre, à se rendre à l’intersection des avenues Pobediteleï et Macherov.

● Deuxièmement, le cortège a poursuivi son chemin et les manifestants ont atteint le Palais de l’Indépendance, où se trouvait alors Alexandre Loukachenko.

● Troisièmement, le président et son fils cadet sont apparus dans l’enceinte de la résidence présidentielle en gilet pare-balles, fusils d’assaut (dont les chargeurs avaient été enlevés) à la main.

● Quatrièmement, il n’y a pas eu de provocations, aucune arrestation n’a été signalée pendant la manifestation.

Fils de fer barbelés, Loukachenko portant un fusil automatique bien en évidence et une foule immense. Voici comment s’est déroulée la 15e journée de protestations au Bélarus. 

Compte-rendu complet.

Le mouvement de contestation qui a commencé le 9 août après les présidentielles au Bélarus continue depuis déjà quinze jours sans relâche. Les manifestations sont moins nombreuses durant la semaine, mais hier, des milliers de manifestants se sont rassemblés à Minsk, pour le deuxième dimanche consécutif.

Dimanche 16 août, plus de 200 000 personnes ont afflué vers la Stèle, avenue Pobediteleï, à Minsk. Hier, la zone autour du monument était entourée non seulement de clôtures métalliques, mais aussi de barbelés, et une heure avant l’heure prévue du rassemblement, le ministre biélorusse de la défense Viktor Khrenin a prononcé un drôle de discours enregistré précisément devant la Stèle dédiée à Minsk – Ville Héros :

« On ne peut regarder tranquillement des manifestations se dérouler, aujourd’hui, dans ces lieux sacrés, sous les mêmes drapeaux sous lesquels les fascistes ont organisé les massacres de Biélorusses, de Russes, de Juifs et de représentants d’autres nationalités. On ne peut tolérer cela ! Par conséquent, à partir d’aujourd’hui, nous les prenons sous notre protection, continua-t-il en haussant le ton. En cas de violation de l’ordre et de la paix en ces lieux, vous n’aurez plus affaire à la police, mais à l’armée. »

Il est vrai que de nombreux militaires armés se trouvaient sur place.

Source: Darya Buryakina, TUT.BY

Des véhicules et des bus militaires, lesquels font désormais partie du paysage minskois, avaient été repérés dans la capitale dès le matin : ils étaient particulièrement nombreux aux abords de la Place de l’Indépendance et près de la Stèle située avenue Pobediteleï. Des agents de la police routière effectuaient au hasard des contrôles de véhicules se dirigeant vers la capitale en interrogeant les conducteurs sur le but de leur déplacement. Les rues débouchant sur l’avenue de l’Indépendance avaient été bloquées, de même que l’avenue elle-même, depuis la Place de l’Indépendance et jusqu’à la rue Kozlova. Les rames de métro circulaient sans s’arrêter dans les stations du centre-ville (Place Lenin, Oktiabrskaïa, Koupalovskaïa et Place de la Victoire). Les centres commerciaux « Stolitsa » et « Galeria » étaient fermés.

En route vers la Place de l’Indépendance

Dès 13h30, des personnes portant des drapeaux blanc-rouge-blanc (mais aussi des drapeaux rouge et vert) et des pancartes ont commencé à se rassembler sur la Place de l’Indépendance. Des cortèges arrivaient de partout : de Novaïa Borovaïa et Grouchevka, des stations de métro Puchkinskaïa et Avtozavodskaïa, du parc Cheluskintsev et d’autres endroits. Le temps n’était pas propice à une manifestation, la pluie tombant périodiquement sur les manifestants sans pour autant réduire leur nombre.

Les ouvriers, qui viennent de passer à côté de l’usine de motocyclettes et de bicyclettes et à la hauteur du centre commercial « Leningrad », rejoignent le cortège provenant de l’arrondissement « Ouroutchie » qui se dirige également vers le centre-ville.
Source: Olga Choukaïlo, TUT.BY

Vers 15h, plusieurs dizaines de milliers de personnes s’étaient déjà rassemblées sur la Place de l’Indépendance, mais les gens continuaient à affluer. Par manque de place, les manifestants ont pris l’avenue de l’Indépendance.

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A 15h30, on comptait pas moins de cent mille personnes. Et ce, malgré le fait que l’accès pour les manifestants arrivés par les rues Moskovskaïa, Sovetskaïa et Miasnikova débouchant sur la place du côté opposé, avait été fermé.

Vidéo : Les gens affluent vers la Place de l’Indépendance
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Des hauts-parleurs installés sur la place diffusent une chanson de l’époque soviétique : « Les avions avant toute chose… », interrompue de temps à autre par des avertissements de la part des autorités rappelant que les manifestations ne sont pas autorisées et intimant à la foule de se dissiper. L’annonceur demande de ne pas inciter les autorités à recourir à la force. Les gens répondent en huant.

Vidéo : Des dizaines de milliers de manifestants devant la poste centrale et le bâtiment du gouvernement à Minsk
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Place de l’Indépendance – la Stèle dédiée à Minsk Ville Héroïne

Peu après 16h, la foule quitte la Place de l’Indépendance et prend des itinéraires différents pour rejoindre l’avenue Pobediteleï. Une colline près de l’hôtel « Planeta » a été choisie comme destination finale. Elle se trouve juste en face de la Stèle entourée de barbelés et gardée par les militaires.

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Vers 17h, la tête du cortège, descendant l’avenue Pobediteleï, s’approche de la Stèle. Les manifestants et les membres des forces de sécurité se font face. Entre les deux – une distance de 30 mètres, des clôtures métalliques et des barbelés.

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Maria Kolesnikova et Olga Kovalkova, membres du Conseil de coordination, ont demandé aux manifestants de s’éloigner des clôtures et d’éviter les provocations. Les manifestants ont obéi. Mme Kovalkova a également appelé les forces de sécurité à ne pas recourir à la force. Elle les a remerciés de protéger les gens.

Pavel Latouchko, membre du Conseil de coordination, a pris la parole.

« Nous ne sommes pas l’opposition, nous sommes la majorité », a-t-il déclaré. Il a informé l’auditoire de la décision prise par le Conseil :

● initier la révocation de tous les députés de la Chambre des Représentants qui n’ont pas exprimé leur opinion et n’ont pas pris position ;

● initier la révocation de tous les élus locaux ;

● initier la tenue d’un référendum national sur le retour à la Constitution de 1994 limitant le nombre de mandats présidentiels.

Latouchko a expliqué qu’il n’appelait pas à un retour à la situation économique de 1994, mais seulement au retour d’une Constitution qui prévoit l’alternance du pouvoir.

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« Maintenant que le directeur licencié s’est enfermé dans son bureau et ne veut pas partir, nous aurons tous la patience de l’attendre à la porte. Nous exigeons le remplacement d’une seule personne. Les autorités essaient de faire croire que la contestation s’essouffle. Notre mouvement est un marathon. Et nous tiendrons le coup jusqu’à l’arrivée. »

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La foule couvre toute la colline devant l’hôtel « Planeta », la totalité de l’avenue Pobediteleï, la chaussée et les trottoirs, et scandent périodiquement : « Va-t’en ! », « Loukachenko dans le panier à salade ! », « Vive le Bélarus ! » Il y a beaucoup de familles, des groupes se sont installés sur des couvertures étendues sur le gazon.

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La Stèle – le Palais de l’Indépendance

Vers 18h, certains des manifestants se dispersent et d’autres descendent plus loin le long de l’avenue Pobediteleï, du côté de la Place du Drapeau de l’État. De temps en temps, on peut entendre des gens s’exclamant : « La résidence ! » Mais à hauteur du Palais de l’Indépendance, la route a été bloquée par des forces de sécurité et les militaires.

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Des policiers anti-émeute avec des boucliers et des hommes de l’unité militaire 3214 sont sur place. Ils sont armés de lance-grenades multiples de type GM-94 (ceux utilisés précédemment pour tirer des grenades assourdissantes en vue de disperser les manifestants), ont des véhicules blindés anti-émeute de type « Roubezh » avec des boucliers surélevés, des canons à eau et plusieurs fusils à pompe. Plusieurs personnes perchées sur les boucliers des « Roubezh » à une hauteur d’environ 2 mètres, filment la foule d’en haut.

Vidéo : Cordon d’agents de sécurité devant le Palais de l’Indépendance et atterrissage d’un hélicoptère
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À un moment donné, la distance entre les manifestants et le cordon se réduit dangereusement et ne représente plus que 50 mètres. Les manifestants scandent : « Honte à vous ! », les moteurs des véhicules blindés ronronnent.

Sur la bande de terre entre les manifestants et les forces de sécurité s’avancent alors quelques musiciens qui interprètent « Les trois tortues » (une des chansons devenues l’emblème du mouvement de contestation. – ndt) que la foule reprend en coeur. Après cela, le cortège de manifestants commence à retourner vers la Stèle.Un peu plus tard, Natalia Eïsmont, porte-parole du président, a ainsi décrit cet incident : « Des soi-disant manifestants ont entrepris, si vous voulez, une sorte d’assaut du bâtiment ».

Un hélicoptère. Le président et son fils en gilet pare-balles, fusil à la main

La suite a été parfaitement rocambolesque. Un hélicoptère a atterri dans l’enceinte du Palais de l’Indépendance.

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Il s’est avéré qu’il transportait Alexandre Loukachenko. Celui-ci est descendu en brandissant un fusil automatique. Il portait un gilet pare-balles. Mais ce n’est pas cela qui a été le plus stupéfiant. Les images diffusées par la chaîne Telegram « La première » montrent clairement qu’un autre homme en uniforme militaire, portant également un gilet pare-balles et une mitraillette, n’est autre que le fils du président, Nikolaï, âgé de 15 ans. Plus tard, cette information a été confirmée par Natalia Eïsmont.

Vidéo : Loukachenko arborant un gilet pare-balles, un fusil automatique à la main
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Le président et son fils ont survolé le centre-ville en hélicoptère, puis Alexandre Loukachenko est sorti de la clôture du Palais de l’Indépendance et a remercié les agents de forces de sécurité qui se trouvaient dans le cordon.

« Vous êtes beaux ! Nous nous occuperons d’eux », leur a-t-il lancé.

« Nous sommes avec vous jusqu’à la fin », a été la réponse.

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Des manifestations ont également eu lieu dans les régions. Voici comment elles se sont déroulées à Vitebsk, Homiel, Hrodna, Brest et Mohileu.

Selon Olga Tchemodanova, attachée de presse du Ministère biélorusse de l’Intérieur, il n’y a pas eu d’arrestations ni à Minsk ni dans d’autres villes lors du rassemblement de l’opposition dimanche.

« À cette heure, il n’y a aucune information sur des interpellations lors de rassemblements non autorisés de l’opposition à Minsk et dans d’autres villes du Bélarus », a déclaré Tchemodanova, interrogée par l’agence de presse Sputnik.

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Des rassemblements de soutien aux manifestants biélorusses ont également eu lieu le 23 août dans plusieurs villes à travers le monde. Des gens ont formé des chaînes humaines arborant des drapeaux blanc-rouge-blanc à Vilnius (la chaîne s’étendait de la capitale à la frontière du Bélarus, et le président Gitanas Nauseda, le ministre des Affaires étrangères Linas Linkevicius, et les ex-présidents Dalia Grybauskaite et Valdas Adamkus sont venus témoigner leur support au peuple biélorusse), à Riga, à Saint-Pétersbourg, à Varsovie, à Kiev, et à Moscou (au fait, 11 personnes y ont été arrêtées devant l’ambassade du Bélarus).

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