Ales Bialiatski : Il n’y a pas eu de telles répressions au Bélarus depuis l’époque de Staline

21 mars 2021 | Deutsche Welle
Interpellation d’un manifestant à Minsk, juin 2020.
Source : Deutsche Welle

Ales Bialiatski, directeur du Centre des droits de l’Homme minskois « Viasna », a déclaré à DW que le niveau de répression au Bélarus dépassait l’entendement et expliqué comment l’Occident pouvait soutenir les prisonniers politiques bélarussiens.

En commentant dans un entretien à DW l’extension des poursuites pénales à l’encontre des manifestants au Bélarus, le directeur du Centre des droits de l’Homme « Viasna », Ales Bialiatski, a déclaré que le niveau de répression dans le pays dépassait l’entendement. Le centre qu’il dirige n’y a pas échappé. Bialiatski, ancien prisonnier politique qui a passé près de trois ans dans un centre de détention provisoire et dans une colonie pénitentiaire, a expliqué à DW comment l’administration pénitentiaire faisait pression sur les prisonniers politiques et comment ces-derniers pouvaient défendre leurs droits.

DW: Le bureau du procureur général du Bélarus a transmis aux tribunaux 468 affaires pénales à l’encontre des manifestants. Ce chiffre est impressionnant. Que se passe-t-il ?

Ales Bialiatski : En réalité, personne n’a compté précisément le nombre de ces cas. Je crois qu’il y en a beaucoup plus, car environ deux mille cinq cents poursuites pénales ont été engagées. Certaines d’entre elles n’ont pas encore été menées à terme. Il y a des dossiers rassemblant de 10 à 12 personnes, il y en a qui n’en impliquent qu’une à la fois.

Quatre personnes de notre centre sont actuellement au centre de détention provisoire. L’affaire pénale contre « Viasna » est en train d’être constituée. Mes collègues ont récemment été convoqués au comité d’enquête pour interrogatoire dans le cadre de cette affaire car nous sommes accusés de financer des actions qui troublent gravement l’ordre public. Nous sommes attaqués parce que nous aidons les gens à rédiger des plaintes, leur donnons des conseils sur la manière de se comporter lors d’actions pacifiques.

L’article du Code pénal évoqué prévoit une peine maximale de deux ans dans une colonie pénitentiaire. En outre, d’autres articles peuvent s’y rajouter en cours de route. C’est une pratique courante : commencer par un article du code et en ajouter d’autres au cours de l’instruction. Je suis témoin dans deux affaires pénales, mais mon statut peut changer à tout moment.

Ales Bialiatski.
Source : Deutsche Welle

En janvier et février, il y a eu environ 100 procès [dossiers à l’encontre des manifestants Ndr.]. Cet acharnement judiciaire démontre que l’ampleur de la répression dans le pays est extrême, cela ne s’est pas produit depuis l’époque de Staline. La répression actuelle n’est pas comparable avec ce que l’on a connu auparavant. Si nous nous replongeons dans l’histoire du Bélarus à l’époque soviétique, dans les années 60-80, seulement une à trois personnes étaient jugées chaque année en vertu d’articles antisoviétiques. Désormais, des centaines de personnes sont jetées derrière les barreaux chaque mois, des centaines sont en train de purger de longues peines et, littéralement, chaque jour, de nouvelles poursuites pénales sont engagées. Le niveau de répression dépasse tout simplement l’entendement.

Les autorités parlent à la population du pays dans un langage de violence. Le soi-disant pouvoir judiciaire est totalement dépendant, il est utilisé à plein régime contre les opposants politiques issus de diverses couches sociales : étudiants, journalistes, militants, représentants des candidats aux élections présidentielles, ouvriers. En été et en automne 2020, tous ont protesté contre les infractions commises au cours des élections. Au final, on observe aujourd’hui une véritable vague de procès et d’actions répressives menées par les autorités.

Il n’est pas surprenant que le nombre de prisonniers politiques au Bélarus augmente constamment. Dans quelles conditions sont détenus les prisonniers politiques ? Sont-elles différentes de celles appliquées aux prisonniers de droit commun ?

Selon les militants bélarussiens des droits humains, au 15 mars dernier, 281 personnes ont été reconnues prisonniers politiques. Ce chiffre progresse régulièrement. Parfois, on nous reproche de ne pas accorder le statut de prisonnier politique assez rapidement. Nous avons des critères très stricts.

Les conditions dans les prisons bélarussiennes ne répondent pas aux normes internationales. Notamment, pour le nombre de détenus dans les cellules, ces-dernières ressemblant davantage à des toilettes publiques, pour la nourriture et les soins médicaux, et, bien sûr, pour la durée de séjour en détention provisoire. C’est une épreuve extrêmement pénible pour n’importe qui. Je suis passé par deux centres de détention provisoire et une colonie pénitentiaire. Je peux dire avec certitude qu’il faut être en très bonne santé pour survivre dans les prisons bélarussiennes car on n’en sort pas indemne.

Tout d’abord, la lumière manque cruellement. Les rangées de barreaux fixées aux fenêtres ne la laissent pratiquement pas passer, ainsi, la vue se dégrade très rapidement. La nourriture fournie aux prisonniers est pauvre en vitamines et minéraux. Les prisonniers qui ne reçoivent pas de l’extérieur de colis avec fruits, légumes et vitamines, risquent la perte des dents due à des carences alimentaires.

Bien entendu, l’administration réserve aux prisonniers politiques un traitement particulier. Beaucoup d’entre eux se retrouvent dans des centres de détention après avoir tenté de faire valoir leurs droits : sortir pour se promener, recevoir leur courrier qui disparaît personne ne sait où car la plupart des lettres ne leur parviennent jamais.

La semaine dernière, il y a eu un cas très typique dans le centre de détention de Mahileu, lieu de détention du blogueur Siarhei Piatrukhin.

… c’est ce que je voulais demander. Piatrukhin s’est ouvert les veines en signe de protestation contre les conditions de détention. A quel point ces mesures radicales sont-elles efficaces, contribuent-elles à l’amélioration de la situation ?

Le prisonnier, comme toute personne, a toujours le choix. Parfois, la violation des droits de prisonnier par l’administration pénitentiaire devient insupportable. En plein procès, Piatrukhin avait besoin d’une concentration maximale, mais il a été placé dans une cellule avec un prisonnier souffrant de troubles mentaux et un pédophile. Il a exigé d’être transféré dans une autre cellule. Naturellement, ce n’était pas pour rien qu’il s’était retrouvé dans cette cellule. Il était évident que l’administration exerçait sur lui une pression psychologique, très vraisemblablement, à la demande des services spéciaux. Au cours des audiences, Piatrukhin s’est toujours comporté avec audace, comme s’il parlait d’une tribune, en défiant l’ensemble du système judiciaire et en dénonçant le régime. Ainsi, les conditions de détention insupportables étaient censées le déstabiliser et lui, en signe de protestation, il s’est taillé les veines.

Blogueur vidéo Siarhei Piatrukhin.
Source : Deutsche Welle

Un prisonnier possède toujours une sorte d’atout : automutilation ou grève de la faim. Probablement, cet atout est à utiliser en dernier recours. L’issue est toujours très grave, comme dans le cas de Piatrukhin ou celui d’ Ihar Bantser, en grève de la faim à Hrodna à la limite de ses capacités physiques. Evidemment, il s’agit des mesures extrêmes. Leur efficacité et l’aptitude de les appliquer reste toujours un choix personnel.

Pendant les trois années passées en colonie pénitentiaire, je n’ai ni tenu de grève de la faim, ni me suis mutilé. Toutefois, j’ai toujours su qu’à un moment critique, plaqué contre un mur, j’aurais une telle possibilité d’exprimer ma protestation. A présent, nous observons constamment des grèves de la faim dans les prisons bélarussiennes. Cela démontre que les prisonniers politiques sont soumis à une forte pression psychologique ou physique.

La situation est encore pire dans les colonies pénitentiaires. Les prisonniers politiques y sont sous le contrôle permanent de l’administration. Il existe au sein de ces établissements un « noyau dur » dénommé « kozlobanda », formé de prisonniers coopérant avec l’administration. Ces taulards sont prêts à tout. Ils peuvent initier une bagarre afin d’y entraîner un prisonnier, si tel est le souhait de l’administration, du directeur de la colonie ou du chef de l’unité car chacun d’entre eux possède son propre réseau de « militants ». Par conséquent, entre les murs des colonies, les prisonniers doivent lutter à la fois contre l’administration, qui instaure des restrictions, fait pression en les privant de colis et de visites, et contre le « noyau dur ».

Beaucoup de choses dépendent de la personnalité de détenu : comment il se comportera, à quel point il sera prêt à résister psychologiquement et dans la durée à la pression subie. Les peines d’emprisonnement dans une colonie ne se chiffrent ni en jours ni en mois. Aujourd’hui, la situation est différente par rapport à celle d’il y a sept ans quand j’étais détenu dans une colonie pénitentiaire à Babruisk. A cette époque-là, j’étais le seul prisonnier politique détenu dans l’établissement. Maintenant, il y en a des centaines. C’est un grand défi pour l’administration pénitentiaire, car il sera difficile d’y faire face, de forcer les prisonniers à être calmes et obéissants.

Comment l’administration réagit-elle aux mesures aussi radicales que l’ouverture des veines ou la grève de la faim ?

La vieille école soviétique est toujours en action, les méthodes de châtiment n’ont pas changé depuis. La lecture des mémoires de dissidents de l’époque soviétique permet de réaliser à quel point les colonies et les prisons bélarussiennes sont similaires aux colonies soviétiques. Naturellement, pour une telle action, le détenu est placé dans une cellule d’isolement (dans un centre de détention provisoire) ou dans une cellule punitive (dans une colonie pénitentiaire). Suite à plusieurs infractions, il devient récidiviste et est privé du droit de recevoir des colis et d’avoir des visites.

Lorsqu’un nombre limite de pénalités est atteint, la justice peut envoyer le détenu en prison avec un régime encore plus strict. Dans ce cas, il faut être encore plus tenace et en meilleure santé pour y survivre. A titre d’exemple, l’homme politique, Mikalai Statkevich, a parcouru tout le chemin : centre de détention provisoire, colonie pénitentiaire, prison à régime renforcé. Le destin a eu pitié de moi, j’ai été libéré après le séjour en colonie pénitentiaire. Néanmoins, j’ai toujours su qu’à tout moment je pouvais aussi être transféré en tant que récidiviste. Ce statut est atteignable très facilement. Il suffit de mal fermer un bouton ou d’avoir un livre dans le tiroir de table de chevet etc. L’administration trouvera toujours le prétexte d’émettre une sanction.

Comment l’Occident, y compris l’Union européenne peuvent-ils aider les prisonniers politiques bélarussiens ?

Il est nécessaire d’augmenter constamment la pression sur les autorités bélarussiennes. Le système politique au Bélarus traverse une crise profonde qui est loin d’être surmontée. Il a éclaté en août 2020 et se poursuit toujours mais sous une forme différente. La situation économique n’était pas très bonne, mais aujourd’hui le pays est au bord d’une véritable récession.

Il ne faut surtout pas se laisser berner par les autorités et en aucun cas ce régime ne doit être soutenu économiquement. En réalité, la situation actuelle des droits de l’Homme au Bélarus est la même qu’au Turkménistan ou en Corée du Nord. J’insiste que seule la pression politique et économique exercée par l’Occident peut affecter Minsk.