Produits bélarussiens. Plutôt chers

Enquête : comment l’entourage d’Alexandre Loukachenko gagne de l’argent sur le dos des Russes

4 février 2021 | Olga Churakova, Aliaksandr Yarashevich, Olga Ratmirova, Stas Ivashkevich, proekt.media
Belarusian products. Expensive
Source : proekt.media

La Russie perd chaque année des milliards de roubles à cause de la contrebande et de la réexportation de produits du Bélarus. Moscou feint d’ignorer le problème permettant ainsi aux sociétés proches des autorités bélarussiennes de s’enrichir. C’est la découverte des journalistes de l’enquête conjointe des médias Proekt, BelSat et Naviny.by.

  1. Pourquoi la Russie a-t-elle couvert la contrebande de cigarettes ?
  2. Comment les autorités bélarussiennes gagnent de l’argent sur les ventes illégales de tabac
  3. Comment le Bélarus est devenu le paradis des fleurs
  4. Les vrais bénéficiaires de la vente des fleurs

Comment les autorités russes ignorent la contrebande de cigarettes

En septembre 2020, le Premier ministre russe Mikhail Michoustine a annoncé une augmentation sans précédent de 20% du droit d’accise sur le tabac. « Dans une situation difficile, tout le monde doit contribuer à la sortie de la crise à laquelle le pays et la population sont confrontés », a déclaré Michoustine. Outre la lutte contre le tabagisme, l’augmentation du droit d’accise avait un autre objectif : collecter des fonds pour le trésor public épuisé par la crise et la pandémie.

L’industrie du tabac a hurlé : la décision du gouvernement signifiait une forte hausse du prix du paquet de cigarette d’environ 20 roubles. La part des cigarettes illégales en Russie est passée de 0,3% en 2012 à 7% en 2020. Par ailleurs, la part des cigarettes illégales produites au Bélarus représente plus de la moitié de l’ensemble du marché illégal et s’élève à 54%.

Pourquoi le tabac illégal bénéficie-t-il d’une forte demande ?

Les experts russes comparent la politique commerciale des pays de l’Union douanière à de la contrebande d’État, parce que lors de sa création, la Russie a confié le contrôle des marchandises importées à ses voisins. La Russie et le Bélarus ont rejoint l’Union douanière en 2010. En 2011, le contrôle du transport a été supprimé entre les pays et transféré aux frontières extérieures de l’Union douanière. Cela signifiait qu’il était devenu possible de voyager dans les deux sens entre la Russie et le Bélarus, sans que les véhicules ne soient contrôlés.

En 2013–2014, sur la recommandation de l’OMS, la Russie a commencé à augmenter chaque année les droits d’accise sur le tabac dans le cadre de la lutte contre le tabagisme. Depuis, les prix ont été multipliés, une crise économique a éclaté, les revenus des ménages ont stagné et les fumeurs se sont mis à chercher des produits bon marché. La différence de taxes sur les cigarettes entre la Russie et ses partenaires dans l’UEEA est si importante qu’elle favorise la contrebande. Selon un sondage du VTsIOM [Centre russe d’étude de l’opinion publique, NdT], en 2020, seul un fumeur sur cinq était persuadé de l’origine légale des cigarettes qu’il consommait. Une personne sur quatre achetait des produits illégaux en connaissance de cause, surtout si elle jugeait sa situation financière difficile. Parmi les causes les plus importantes de la propagation de la contrebande de tabac, les répondants ont cité la hauteur du montant des taxes d’accise, les prix (46%) et le faible niveau de vie (41%). Plus de la moitié des personnes interrogées estiment que les mesures existantes de lutte contre le marché illégal de tabac sont inefficaces (53%).

Pourquoi les cigarettes de contrebande sont importées du Bélarus ?

Le prix des cigarettes au Bélarus est le plus bas de l’Union douanière, environ 60 roubles par paquet contre 120 en Russie. Le taux des droits d’accise sur les cigarettes suit la même tendance (1308 roubles au Bélarus contre 2805 roubles en Russie pour mille pièces). Le prix est maintenu délibérément bas au Bélarus, par l’État. En 2019, le président Loukachenko a ordonné d’empêcher une augmentation des prix du tabac.

En parallèle, le Bélarus a développé une production de tabac démesurée dépassant la consommation intérieure de deux à trois fois. Actuellement, le pays voisin compte trois usines de tabac : Nioman à Hrodna, Tabak-Invest et Inter Tobacco à Minsk.

Production of cigarettes at the Neman factory
Les cigarettes sont produites à l’usine Nioman.
Source : grodnonews.by

Nioman est la plus ancienne entreprise publique du Bélarus en activité depuis le XIXe siècle. L’usine produit principalement des cigarettes bas de gamme sous ses propres marques Credo, Minsk, NZ, Queen, Matrix, Magnat, Premier, Fest. En outre, sont également produites des cigarettes pour British American Tobacco (Rothmans, Pall Mall, Kent, Vogue), ainsi que pour Tobacco International Enterprises Limited (Oscar, Cooper, Velvet).

Tabak-Invest est une société privée appartenant aux hommes d’affaires Viktar Piatrovitch et Pavel Topouzidis. Elle produit ses propres marques ainsi que celles sous licence. Enfin, Inter Tobacco est la plus jeune société privée. L’entreprise existe depuis l’année dernière et fait partie du groupe de la holding Energo-Oil contrôlé par l’homme d’affaires Aliakseï Aleksine. L’usine produit ses propres marques et des marques étrangères.

Nous retrouverons les noms des hommes d’affaires mentionnés plus loin dans le récit.

Comment s’organise la livraison des cigarettes de contrebande en Russie

Avant les fêtes de fin d’année, les douaniers de la région de Pskov ont arrêté un camion pour un contrôle. Selon les documents fournis, le conducteur transportait des meubles du Bélarus à l’adresse d’une société à Moscou. En examinant le véhicule, les douaniers ont découvert non pas des meubles mais des cigarettes bélarussiennes d’une valeur d’environ 1,5 million de roubles. L’un des schémas utilisés par les trafiquants consiste à enregistrer des entreprises dans les régions frontalières russes ou à Moscou tandis que leur activité réelle se déroule au Bélarus.

The trailer of the truck stopped in the Pskov region
Le chargement du camion arrêté dans la région de Pskov.
Source : informpskov.ru

Les cigarettes sont transportées en Russie soit en « pièces détachées » (le tabac, les capsules et les feuilles de carton séparément), soit « déjà assemblées », précise un vendeur contacté par le correspondant de Proekt sur le réseau social Vkontakte. Le pressage, le rembourrage et la découpe de paquets en carton se font en Russie. Les timbres d’accise sont des répliques typographiques bon marché de l’original. Le carton et les capsules sont de qualité acceptable. Nous avons tout simplement transporté du tabac dans des oreillers, raconte-t-il. Le vendeur présume que des douaniers russes de niveaux intermédiaire et supérieur sont impliqués dans le schéma du trafic.

Le « transit interrompu » est l’un des moyens les plus courants de transport des marchandises depuis le Bélarus. Les entreprises bélarussiennes affirment transporter des cigarettes vers le Kirghizistan, le Kazakhstan ou l’Arménie. Cependant, la cargaison n’atteint jamais le point final. Les camions transportant des cigarettes et munis de documents officiels de transit entrent en Russie et y déchargent leur cargaison.

La vente en demi-gros des produits de contrebande en Russie est organisée à l’instar de celle des stupéfiants. Elle se fait, presque comme sur le darknet, à travers des chaînes de Telegram anonymes et des groupes sur VKontakte. En décembre 2020, on comptait au moins six cents plateformes de ce type. Il est impossible de mettre la main sur les vrais gestionnaires de ces groupes et de ces chats de discussion. Les noms et les photos indiqués dans les profils sont fictifs et les administrateurs changent constamment.

Il est indispensable d’être recommandé par un administrateur pour effectuer un achat sur les chaînes Telegram. Faute de parrainage, les vendeurs n’entameront même pas de dialogue. Un interlocuteur de Proekt sur Vkontakte a accepté de vendre au nouveau venu « pour la première fois » deux cartons de cigarettes avec et sans accises produites au Bélarus. L’expédition à travers la Russie devait être assurée par la société de transport Delovye Linii. Le vendeur a refusé de préciser comment les cigarettes étaient livrées depuis le Bélarus, mais il a garanti la sécurité de la cargaison.

Outre les groupes fermés, il est possible d’acquérir des cigarettes bélarussiennes sur de nombreux sites de la zone de l’Internet .ru, bien que la vente de produits de tabac sur Internet soit interdite en Russie. Un correspondant de Proekt a contacté en tant qu’acheteur le vendeur d’une boutique en ligne proposant des cigarettes de producteurs bélarussiens, kirghizes, tadjiks et autres. Le site proposait à la fois des cigarettes bélarussiennes sans accise, des cigarettes soumises à accise, NZ, Korona, Minsk, Fest et d’autres marques bas de gamme. Durant toute l’année 2020, les juristes du cabinet « Gorodissky et associés » mandatés par les sociétés de tabac, détectaient et bloquaient ces sites de vente. Le nombre de sites web a été diminué par quatre mais le commerce illégal de tabac s’est étendu à travers les comptes Instagram. Leur nombre a été multiplié par dix.

correspondence between our correspondent and the seller
La correspondance du journaliste de Proekt avec un vendeur.
Source : proekt.media

Olya : Bonsoir, Alexandre ! Je voulais commander du tabac. Au fait, comment vous le transportez du Bélarus ? Avec quelles compagnies de transport (CT) ?
Alexandre : Nous expédions partout en Russie par Delovye Linii [société de transport aérien].
Olya : Ce sont eux aussi qui assurent le transport de Hrodna, c’est ça ?
Alexandre : Il me semble que ça arrive par avion de Hrodna.
Olya : Même si nous commandons 100–150 cartons ?
Alexandre : Il vous faut les livrer où ? Quelle ville ?
Olya : Dans la région de Tver. Les cartons pourront aller par avion jusqu’où ? Nous n’avons pas d’aéroport là-bas.
Alexandre : Ici en Russie, ce sont des transporteurs. Bref, la marchandise arrivera dans votre ville.
Olya : Ah, compris. Les cartons arriveront par avion en toute sécurité ? Vous savez si c’est un vol régulier ? Désolée pour les questions stupides, je vais passer la commande pour la première fois et les clients s’inquiètent beaucoup pour la sécurité.
Alexandre : La marchandise est déjà arrivée en Russie de Hrodna, c’est pour vous rassurer. Nous expédions partout en Russie par voie commerciale.

Nous apprenons de la correspondance avec un vendeur que du côté russe il s’agit essentiellement de petits acteurs : des entrepôts régionaux de petite taille d’où les marchandises sont diffusées dans des points de stockage des districts par ceux qui cherchent à gagner de l’argent rapidement pour s’acheter une nouvelle voiture bon marché. Selon lui, il est possible de vendre de la marchandise en toute sécurité sans attirer l’attention des autorités, si le chiffre d’affaires ne dépasse pas 5 à 7 millions de roubles. Les montants plus élevés ne peuvent pas être conservés sur des portefeuilles numériques et doivent être transférés à la banque, ce qui devient trop visible, ajoute-t-il.

Le correspondant de Proekt a facilement pu se procurer de la contrebande bélarussienne dans le centre de Moscou. Les cigarettes avec et sans accises étaient vendues dans plusieurs kiosques à tabac au prix de 70 à 80 roubles par paquet. A la question de savoir qui est le fournisseur des cigarettes, un vendeur a fait croire qu’il les achetait sur le plus grand marché de gros de Moscou, Food City. Le marché appartient aux hommes d’affaires God Nissanov et Zarakh Iliev élus meilleurs de l’année.

Qui gagne de l’argent sur les cigarettes au Bélarus

Contrairement à la Russie, il y a de très grands bénéficiaires du tabac illégal du côté bélarussien. En 2020, à l’achèvement de la construction de l’usine Inter Tobacco, le président Loukachenko a modifié les limites administratives de Minsk, en cédant près d’un hectare et demi du territoire de la capitale au profit de l’entreprise. L’usine a été construite sur ce terrain.

Le propriétaire de cette entreprise, Aliakseï Aleksine, est très proche de Loukachenko. Il travaillait auparavant pour la société Belvneshtorginvest qui entrait dans le périmètre de gestion de la Direction des Affaires du président du Bélarus. Il a également supervisé le commerce des produits pétroliers de la holding « Triple » de l’homme d’affaires Ioury Tchyj. En 2012, l’Union européenne a imposé des sanctions contre Tchyj, considéré comme le « portefeuille de Loukachenko ». Deux ans avant les sanctions, tous les actifs pétroliers de Tchyj ont été transférés à Aleksine.

Aliaksei Aleksin
Aliakseï Aleksine.
Source : Dzmitry Brushko, TUT.BY

Les actifs d’Aleksine incluent désormais « Energo-Oil », « MTBank », le complexe hôtelier et de restauration « Siabry », l’usine de produits carnés « Veles-Meat » et l’opérateur national du système de surveillance de transit « Belneftegaz ». L’homme d’affaires soutient les motards bélarussiens, en particulier le principal motard du pays, Viktar, fils de Loukachenko. En 2012, Viktar et le fils de l’ancien procureur général de Russie, Artiom Tchaika, ont créé le club de motards d’élite Iron Birds Chapter. Le club Iron Birds Chapter organise des rassemblements de motards en Russie et au Bélarus avec le soutien de la société « Moto Event », détenue par le russe Aleksandr Kitaev et le bélarussien Dzmitry Pavlovitch. Pavlovitch est le directeur d’« Energo-Oil », collaborateur d’Aleksine.

The son of the Prosecutor General of Russia Artem Chaika and Aliaksei Aleksin
Le fils du procureur général de Russie Artiom Tchaika et Aliakseï Aleksine en mai 2019 à la cérémonie d’ouverture de la saison moto à Voronej, fréquentée également par Loukachenko et son fils.
Source : RIA

La proximité d’Aleksine avec la famille Loukachenko ne fait aucun doute. En mars 2020, il a été repéré par le canal Telegram Nexta à bord du jet privé Gulfstream G550 transportant Viktar Loukachenko, d’Abou Dabi à Minsk. Le jet était immatriculé en Autriche au nom de la société Eolinus Beteiligungsverwaltungs GmbH associée à Mikalai Varabeï, un autre homme d’affaires bélarussien influent et partenaire d’Aleksine.

Les bénéfices d’Aleksine provenant de l’industrie du tabac sont énormes. Le fait est qu’en 2017, le président Loukachenko a ordonné de créer un « réseau commun de distribution de produits de base » dans le secteur du tabac. Cela signifiait que désormais les cigarettes produites par les deux usines de tabac du pays devaient être vendues par l’intermédiaire d’Aleksine qui, en 2020, s’est vu attribuer 40% du marché intérieur du tabac. Sa société Energo-Oil a signé un contrat d’investissement avec l’Etat grâce auquel la société d’Aleksine est devenue locataire des bureaux de tabac publics (environ 900) et a obtenu le droit d’implanter ses propres débits « Tabakerka » sur tout le territoire national.

Un an plus tard, en 2018, Energo-Oil a obtenu le droit d’importer et de commercialiser des cigarettes étrangères. Après avoir importé des cigarettes, la société en produit actuellement sous licence des marques L&M, Parliament, Marlboro. Étant donné que la production au Bélarus est plusieurs fois supérieure à la demande intérieure, les cigarettes de marques étrangères peuvent également entrer en Russie.

D’autant plus que c’est Aleksine qui supervise les mouvements de toutes les marchandises en transit au Bélarus. Le fait est que pour « contrer la contrebande », Loukachenko a ordonné la création d’un système de contrôle du trafic de transit qui surveille en temps réel les déplacements des camions vers leur destination. Les véhicules sont équipés d’un scellé électronique connecté aux systèmes de navigation et intégré dans la base des autorités douanières. La gestion de ce système de contrôle est assurée par Belneftegaz, société contrôlée par Aleksine. Ce système électronique a été conçu et développé également par une société contrôlée par Aleksine.

Aleksine a refusé tout commentaire à ce sujet.

Comment le Bélarus a-t-il envahi le marché des fleurs russe

Il existe un autre domaine permettant à l’entourage du président Loukachenko de tirer profit de la vente de marchandises à la Russie. Étonnamment, depuis plusieurs années, le Bélarus est le principal fournisseur de fleurs coupées en Russie. Au cours des cinq dernières années, le Bélarus a multiplié par plus de cent fois les exportations de fleurs coupées vers la Russie, en dépassant les leaders mondiaux dans ce domaine que sont les Pays-Bas, l’Équateur et la Colombie. Aujourd’hui, c’est quasiment une fleur sur deux achetées en Russie qui provient du Bélarus.

Rizhsky market in Moscow
Le Marché de Riga à Moscou.
Source : proekt.media

La croissance exponentielle de l’approvisionnement bélarussien a coïncidé avec l’introduction des restrictions imposées en Russie à l’importation de fleurs des Pays-Bas et de Turquie en 2015–2016 mais ce n’est pas la seule raison du boom des fleurs « bélarussiennes ». En réalité, ce sont les modalités fiscales qui rendent les exportations de fleurs vers la Russie avantageuses.

Par un décret de Loukachenko, les réexportateurs bélarussiens ont été exonérés du paiement de la TVA sur les marchandises importées. A la livraison des fleurs en Russie, où le paiement de la TVA est requis, les biens sont vendus à un coût largement sous-estimé.

Les statistiques de Belstat sur l’approvisionnement en fleurs démontre que le Bélarus achète des fleurs à 32–36 centimes la pièce, ce qui correspond à peu près aux tarifs mondiaux, mais les revend à la Russie à 8–12 centimes l’unité. Ce schéma permet de faire des économies significatives sur les taxes allant jusqu’à dix mille dollars par camion. Par conséquent, la fleur bélarussienne est environ 20 à 30% moins chère que celle des concurrents les fournissant directement à la Russie.

En 2019, le Bélarus a importé près de 900 millions de fleurs. Et il a exporté à peu près la même quantité vers la Russie.

In 2019, Belarus imported almost 900 million flowers
En vert les importations du Bélarus, en rouge les exportations du Bélarus vers la Russie, en million de pièces.
Source : proekt.media

Les fleuristes russes affirment que les approvisionnements en provenance du Bélarus détruisent leur activité. La construction de nouvelles serres est quasiment stoppée, les investissements dans les anciennes fermes florales ont cessé, chaque année le pays perd 6 à 8 milliards de roubles dans ce domaine.

A l’instar du tabac, les principaux acheteurs de fleurs en Russie sont les entreprises de petite taille ou les entrepreneurs individuels. Le journaliste de Proekt a contacté les plus grandes sociétés de vente en gros, en se présentant comme acheteur. Ainsi, les géants russes Seven Flowers, Floreksim, Euroflor, Fleurs de Matcheliouk ont admis qu’ils acheminaient leurs marchandises via le Bélarus et qu’il n’existait pas d’autre option. Sur le Marché de Riga, le plus important marché aux fleurs de Moscou, les principaux acheteurs sont de petits grossistes qui ensuite revendent les fleurs dans les quartiers résidentiels de la capitale. Le journaliste de Proekt a interrogé les vendeurs du marché. Plusieurs d’entre eux ont également admis que leur marchandise provenait du Bélarus, mais ils ne savaient pas exactement comment les fleurs avaient traversé la frontière.

L’employée d’une grande société logistique gérant le transport des fleurs coupées pour les grossistes russes, a déclaré que l’entreprise recevait la marchandise via « Beltamojservis » et « Globalcustom », deux sociétés bélarussiennes. Elle a ajouté que personne n’allait changer ce système car les importations directes de l’Equateur coûteraient trois fois plus cher.

Qui gagne de l’argent sur la vente des fleurs au Bélarus

Sur la liste des fournisseurs bélarussiens de fleurs coupées, trois entreprises arrivent en tête : « Globalcustom », « Logeks » et « Gaz Venture ». On y retrouve également l’opérateur logistique national « Beltamojservis ».

Toutes ces sociétés sont étroitement liées aux dirigeants du pays. Il est impossible de s’implanter sur le marché sans autorisation provenant d’en haut. Personne ne sera autorisé à le faire de sa propre initiative, explique le directeur d’une société bélarussienne de ventes de fleurs.

« Globalcustom » a été créée en 2015. Parmi ses associés de l’époque, on trouve une certaine Hanna Pouchkarova et une autre Hanna Khmialeùskaïa. Il est devenu clair depuis longtemps que ces entreprises bénéficient d’une protection particulière de la part des autorités bélarussiennes. En 2017, un camion bélarussien a été arrêté en Russie. Selon les documents, il transportait du tissu, mais en réalité il s’agissait des vêtements de marque, a déclaré Belsat. Moscou a exigé que Minsk mène une enquête. Une enquête judiciaire a été lancée au Bélarus. Il a été découvert au cours de la procédure que la cargaison appartenait à « Globalcustom ». La société avait acquis les marchandises, les avait fait entrer au Bélarus pour les dédouaner en bénéficiant de la réduction des tarifs applicables, et les avait ensuite envoyées à la vente à Moscou, par sa propre filiale. Cependant, le tribunal a refusé d’accuser « Globalcustom ». Les représentants de la société ont déclaré qu’il s’agissait d’une simple négligence, que le camion en question avait échappé au contrôle dans le flux commun. Le tribunal a trouvé l’explication plausible et n’a pas poursuivi la société. Seuls le conducteur et le propriétaire du camion arrêté ont été condamnés.

Parmi les associés initiaux de « Globalcustom », figure Hanna Pouchkarova, proche de Viktar Cheïman, assistant spécial et partisan de longue date de Loukachenko et chef de la Direction des Affaires du président.

Alexander Lukashenko and Viktar Sheiman
Alexandre Loukachenko et Viktar Cheïman.
Source : proekt.media

A présent, les personnes morales associées à « Globalcustom » sont enregistrées au nom d’Iaùhen Jovner et d’Aliaksandr Ramanoùsky. Ramanoùsky est le partenaire commercial de Dzmitry Pabyarjyne, ancien secrétaire de presse du KGB bélarussien. Toutefois, le lien existant toujours entre « Globalcustom » et Viktar Cheïman ne fait aucun doute. « Globalcustom-management » détient 75% dans la société minière « Belgeopoisk » dont les 25% restants appartiennent à la société « Belzarubezhtorg » régie par l’administration présidentielle. « Globalcustom » remplit les formalités douanières par l’intermédiaire du parc industriel « Great stone », des centres de commerce et de logistique « Beltamojservis » et « Ozertso-logistic » régis par le cabinet présidentiel. Cheïman a inauguré en personne la représentation de « Globalcustom » dans le parc industriel « Great stone ».

Pourquoi la Direction des Affaires du président du Bélarus fait du business

La Direction des Affaires du président (OuDP) du Bélarus est un organisme gouvernemental régi par Alexandre Loukachenko en personne. Elle a été créée en 1994. En 25 ans, cette société qui a commencé comme une petite subdivision de soutien matériel, technique et social dispensé aux autorités, a franchi les étapes pour devenir une grande holding représentée dans divers domaines d’activité.

Cette structure OuDP est constituée de plus de 100 organisations au Bélarus et à l’étranger. Parmi elles, les quatre parcs nationaux (« Belavejskaïa Pouchtcha », « Naratchansky », « Prypiatsky », « Lacs de Braslaù »), la réserve de biosphère de la Bérézina, des stations de cure au Bélarus, dans le Caucase, en Crimée et dans les pays baltes, les complexes hôteliers « President-Hotel », « Minsk », « Planeta », « Yubileiny », des sociétés des secteurs de l’agro-industrie, de la construction, des transports et du commerce. Environ 400 bâtiments publics et administratifs sont gérés par la holding OuDP. En 2020, le chiffre d’affaires de l’OuDP s’est élevé à 2,6 milliards de roubles bélarussiens (plus d’un milliard de dollars).

Bénéficiant des réductions fiscales sur les importations octroyées par les autorités, les sociétés contrôlées par la Direction des Affaires du président les réexportaient librement à travers la frontière vers la Russie. A titre d’exemple, au milieu des années 90, Loukachenko a instauré des exonérations fiscales, sous prétexte de faciliter l’approvisionnement de la population en produits avant les fêtes de fin d’année. En réalité, toutes les marchandises ont été mises en vente en Russie. Au final, l’argent destiné à l’achat des produits provenait du budget national, tandis que le bénéfice des ventes en Russie allait directement sur le compte de la Direction des Affaires du président. Au début des années 2000, l’OuDP s’est lancée dans une nouvelle activité, le commerce des biens confisqués. Il s’agissait des biens en provenance de l’étranger saisis à la frontière par les douanes bélarussiennes. En 2003, le montant des marchandises saisies s’élevait à 250 millions de dollars.

Le deuxième grand fournisseur de fleurs, la société « Logeks », est associé à l’homme d’affaires Aliaksandr Chakoutsine et à son fils Aliaksandr Chakoutsine junior. La famille Chakoutsine manifeste à Loukachenko une loyauté sans faille. Chakoutsine-père était l’un des rares hommes d’affaires présents à l’inauguration secrète du président bélarussien au moment du pic des manifestations de rue en 2020. L’année dernière, l’UE a imposé des sanctions à l’encontre de Chakoutsine.

Alexander Lukashenko and Aliaksandr Shakutsin Sr
Alexandre Loukachenko et Aliaksandr Chakoutsine-père.
Source : Service de presse du président du Bélarus

Le troisième fournisseur, « Gaz Venture », est associé à la société logistique « Bremino Group ». L’entreprise construit un grand complexe logistique à la frontière avec la Russie équipé de terminaux routiers, ferroviaires et aériens. Il y a aussi de prévu la création d’une bourse aux fleurs. Pour la construction du complexe logistique, Loukachenko a personnellement ordonné de créer dans le district d’Orcha la zone économique spéciale « Bremino Orcha » qui n’est rien d’autre qu’une zone franche fiscale offshore. Parmi les associés de « Bremino Group » figurent Aliakseï Aleksine et ses partenaires de longue date Mikalaï Varabeï et Aliaksandr Zaïtsaù très proches de la famille Loukachenko.

Zaïtsaù est un ancien haut fonctionnaire et assistant de Viktar Loukachenko. Les intérêts commerciaux de Varabeï sont principalement concentrés dans l’industrie pétrolière. Par la décision des autorités, la société « New Oil Company » qu’il contrôle est récemment devenue un exportateur spécial de produits pétroliers bélarussiens suivant le même schéma qu’Aleksine dans l’exportation de cigarettes. Varabeï a également été sanctionné par l’UE pour son soutien au régime de Loukachenko.